L’exposition The soil will become wet réunit une série de photographies réalisées entre Jérusalem et la frontière irano-arménienne. Ce territoire, inaccessible pour Anne Simin Shitrit en tant qu’Israélienne, représente le point d’accès le plus proche à la terre d’origine de sa mère, l’Iran. En associant des archives familiales, des paysages contemporains et des tirages sur tissu, l’artiste explore la mémoire de l’exil et la transmission silencieuse entre générations.
La décision de photographier la frontière naît d’un intérêt profond pour l’ambiguïté qu’elle incarne, entre le danger et la séduction esthétique, entre ce qui nous savons et ce que nous percevons. Cette limite géographique résonne avec les frontières intérieures et émotionnelles entre la mère et la fille, ainsi qu’avec la séparation vécue par la première entre son passé iranien et sa vie à Jérusalem.
Tout au long de l’année 2025, Anne Simin Shitrit a travaillé à Ithaque afin de préparer cette exposition. Elle y a réalisé des tirages argentiques représentant les paysages de la frontière physique entre l’Iran et l’Arménie, et a expérimenté l’application d’émulsion liquide sur des tissus rapportés d’Iran par sa mère.
Cette technique exigeante et souvent imprévisible l’a conduite à accepter la fragilité comme élément essentiel du processus. La matière réagit, résiste, parfois échappe au contrôle, et c’est dans cette tension que son œuvre prend forme.
Le tissu devient à la fois support et surface vivante, absorbant la lumière et la mémoire des images. Cette recherche marque une étape importante dans le parcours de l’artiste et témoigne de son désir d’approfondir la relation entre image, matière et temporalité.
Panorama of the Iranian border, 2025, émulsion liquide sur tissu avec détails manuscrits et floraux provenant d’un tissu iranien, ensemble de 5 pièces, 65 × 204 cm.
Panorama of the Iranian border (détail), 2025, Émulsion liquide sur tissu, avec détails floraux appliqués provenant d’un tissu iranien.
« Déjouant les préjugés sensationnalistes et autres archétypes visuels attachés à cette région, la photographe livre, tout en retenue, des clichés empreints d’un calme pénétrant et puissamment évocateur, où la douceur laisse affleurer de profondes blessures et des silences destructeurs. La frontière qu’elle nous donne à voir s’incarne dans un puissant massif montagneux et par un cours d’eau, l’Araxe. Celle-ci se matérialise aussi par la présence humaine, notamment un important fret routier ainsi qu’un foyer de population, principalement établi dans la vallée. Développé avec la technique de l'émulsion liquide et orné de motifs floraux, ce grand panorama en tissu persan est l’occasion pour Anne Simin Shitrit de recourir à une troncature visuelle, lui permettant ainsi de souligner à l’aide d’un procédé plastique, la frontière infranchissable qui se dresse alors face à elle. Comme pour tromper sa torpeur et réaffirmer sa « puissance d’agir », elle rehausse son image et instille de la couleur à l’aide de fleurs stylisées ainsi que d’une lancinante question « این چه نوع عشق است ؟ » (Quel genre d’amour est-ce ?).
- Maxime Georges Métraux, Historien de l'art, Université Paris I Sorbonne et INHA
Portrait of Simin in Téhéran (1967), 2025, tirage argentique sur papier baryté avec tissu iranien, pièce unique, 26 × 35,5 cm.
Untitled, 2025, émulsion liquide sur tissu iranien, ensemble de 4 pièces, oeuvre unique, 26 × 48,8 cm.
Iranian border 1, 2025, émulsion liquide sur tissu iranien, pièce unique, 22 × 27,8 cm
Dans la foulée immédiate de son exposition à Ithaque, le Musée d’Art de Tel Aviv présentera une exposition personnelle des oeuvres d’Anne Simin Shitrit en décembre 2025.
Tree in Jerusalem home, 2023, tirage argentique sur papier baryté, pièce unique, 125 × 165 cm.
The hand of Simin, 2025, tirage argentique sur papier baryté, édition ⅓ + 1 EA, 14 × 19 cm.
Aras river, 2025, tirage argentique sur papier baryté, édition ⅓ + 1 EA, 29,5 × 23,1 cm.
Anne Simin Shitrit (née en 1994 à Jérusalem) est une artiste photographe basée à Paris, représentée par Ithaque. Diplômée avec les félicitations du jury du Master de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris (2024) et titulaire d’un Bachelor de la Bezalel Academy of Art and Design (2019), elle a également suivi le Folio Program du PHmuseum (2024) et le programme Edmond de Rothschild (2021). Lauréate du Prix Lauren and Mitchell Presser en 2024, elle bénéficie du programme de bourse de la Fondation Porosus et Thanks for Nothing, et poursuit depuis 2025 une résidence dans la chambre noire d’Ithaque. Son travail interroge les notions d’identité, de mémoire et de migration à travers la photographie argentique et l’expérimentation de la matière.